Le taux d’incidence du cancer du sein touchant les femmes françaises est en augmentation, alertait une étude du Centre international sur le cancer (CIRC), publiée en mars 2024. Pourquoi ce taux est-il plus important chez nous qu’ailleurs dans le monde ? Faut-il s’en inquiéter ? On fait le point avec Dr. Emmanuelle Mouret-Fourme, médecin oncogénéticienne et épidémiologiste à l'Institut Curie.

105,4 cas pour 100 000 habitants, en 2022. C’est le nombre alarmant mis en avant par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), en mars 2024. Il s’agit là du taux d’incidence de cancer du sein dans l'Hexagone.

La France figure, d’après les chercheurs.euses, en tête du classement mondial, devant ses voisins européens (101,6 aux Pays-Bas, 95,6 en Norvège, 94 au Royaume-Uni, 87 en Italie…) et internationaux (95,9 aux États-Unis, 71,3 en Argentine).

Le nombre de diagnostics de cancer du sein augmente donc constamment en France. Il s’agit du cancer le plus fréquent chez les femmes françaises, mais avec un taux de mortalité en baisse.

Selon des chiffres de Santé Publique France datant de 2018, 12 146 personnes en meurent par an. En 2023, l’organisme estimait à 61 214 le nombre de nouveaux cas annuels. Début 2024, les Nations Unies estimaient, elles, que les cas de cancers partout dans le monde devraient augmenter de 77% d’ici 2050.

 

Son taux d'incidence y est le plus élevé au monde : pourquoi y a-t-il plus de cancer du sein en France ?

Par Pauline Weiss

Le taux d’incidence du cancer du sein touchant les femmes françaises est en augmentation, alertait une étude du Centre international sur le cancer (CIRC), publiée en mars 2024. Pourquoi ce taux est-il plus important chez nous qu’ailleurs dans le monde ? Faut-il s’en inquiéter ? On fait le point avec Dr. Emmanuelle Mouret-Fourme, médecin oncogénéticienne et épidémiologiste à l'Institut Curie.

105,4 cas pour 100 000 habitants, en 2022. C’est le nombre alarmant mis en avant par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), en mars 2024. Il s’agit là du taux d’incidence de cancer du sein dans l'Hexagone.

La France figure, d’après les chercheurs.euses, en tête du classement mondial, devant ses voisins européens (101,6 aux Pays-Bas, 95,6 en Norvège, 94 au Royaume-Uni, 87 en Italie…) et internationaux (95,9 aux États-Unis, 71,3 en Argentine).

Le nombre de diagnostics de cancer du sein augmente donc constamment en France. Il s’agit du cancer le plus fréquent chez les femmes françaises, mais avec un taux de mortalité en baisse.

Selon des chiffres de Santé Publique France datant de 2018, 12 146 personnes en meurent par an. En 2023, l’organisme estimait à 61 214 le nombre de nouveaux cas annuels. Début 2024, les Nations Unies estimaient, elles, que les cas de cancers partout dans le monde devraient augmenter de 77% d’ici 2050.

Vingt ans après la mise en place d’un programme national de dépistage organisé, faut-il s’inquiéter des récents chiffres concernant les cancers du sein en France ? Dr Emmanuelle Mouret-Fourme, médecin oncogénéticienne et épidémiologiste à l'Institut Curie (ayant tout juste inauguré l’Institut des Cancers des Femmes), nous répond.

Le cancer le plus fréquent chez les femmes en France

Marie Claire : Comment expliquer que les cancers du sein soient plus nombreux en France, et qu'il s'agisse d'un "record" mondial ?

Dr. Emmanuelle Mouret-Fourme : "On sait que l'incidence du cancer du sein continue à augmenter en France depuis les années 90. Cette estimation pour l'année 2022 montre que l'incidence est plus élevée. Mais concernant le classement au niveau international, il faut bien avoir en tête qu’il s’agit d’une estimation.

Dans le chiffre donné par le CIRC, il y a forcément une petite zone d'incertitude, car ce n'est pas avec un seul chiffre que l’on peut dire que" la France a le taux le plus élevé au monde", bien que ce taux très élevé pose question.

Il pose question dans tous les pays où l'incidence du cancer du sein augmente, et surtout sur des tranches d'âge qui n'étaient pas habituellement en augmentation, notamment chez les femmes de moins de 50 ans. Dans les données du CIRC de 2020, à l’échelle européenne, le taux d’incidence de la France se situait en quatrième position.

À titre de comparaison, dans les données du CIRC de 2020, à l’échelle européenne, le taux d’incidence de la France se situait en quatrième position après la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.

 

Les estimations de 2023 pour la France sont sorties dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire : les estimations étaient de 99,2 cas pour 100 000 personnes Là, il y a un intervalle de confiance et une zone d'estimation qui peut monter jusqu'à 105.

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Cela a-t-il un lien avec un dépistage peut-être plus important que dans d’autres pays ?

Il y a d’abord le dépistage dit "organisé", pour la tranche d'âge des 50-74 ans : le "Plan Cancer", né sous l’impulsion de Jacques Chirac, en 2003. Dans l’ensemble de la France, les femmes sont amenées à faire une mammographie tous les deux ans. Environ 50% des femmes de cette tranche d'âge viennent se faire dépister.

À cela s'ajoute le dépistage sur prescription individuelle. Ce dépistage peut être fait parfois avant 50 ans, parce qu'il y a certains facteurs de risque, ou après 50 ans, parce que les femmes choisissent plutôt de le faire sur prescription individuelle.

Mais globalement, le niveau de dépistage pour le cancer du sein n'a pas augmenté récemment. Donc il n’y a pas d'"effet de dépistage" pouvant expliquer l'augmentation d’incidence.

Des facteurs de risque spécifiques à l'Hexagone ? 

Les principaux facteurs de risques de cancer du sein sont-ils plus importants en France qu’ailleurs ?

L'âge est un facteur principal de risque, mais là, ce n’est pas le cas. Même si la population française vieillit, il n’y a pas d’effet âge, c'est-à-dire de vieillissement de la population, parce que les taux d'incidence sont ajustés sur l'âge : l’effet de l'âge est gommé quand on compare les taux entre les pays.

Les autres facteurs de risque interrogent. Concernant le cancer du sein, on le sait depuis de nombreuses années, le facteur génétique figure à la première place. Mais il ne concerne que 5 à 10 % des cancers du sein.

Le fait d'être plus sédentaire qu'avant a un effet sur la santé et possiblement sur le cancer du sein.

Ensuite, la plupart des cancers du sein sont hors facteurs de risque type génétiques. Les autres facteurs de risque identifiés sont la consommation d'alcool, de tabac et la sédentarité. Il y a aussi des facteurs de risque liés à la vie reproductive. Ces facteurs restent relativement faibles. Mais combinés, ils peuvent aboutir à une augmentation du risque individuel.

En France, la consommation de tabac a baissé, mais resté élevée pour les femmes. Concernant la consommation d’alcool, on voit que les femmes consomment un peu plus fortement à des âges plus jeunes. Mais quel est l'impact sur le risque de cancer du sein ultérieur ? Il est difficile d’y répondre.

En revanche, il est possible d’agir au moins sur trois facteurs de risque connus et potentiellement modifiables. Ces derniers peuvent évidemment être combinés sur d'autres pathologies que le cancer du sein, comme les maladies cardio-vasculaires, le diabète

S'il y a bien eu une évolution sur des générations, le fait d'être plus sédentaire qu'avant a un effet sur la santé et possiblement sur le cancer du sein, voire sur d'autres pathologies qui pourraient être diminuées en augmentant l'activité physique.

Pourrait-il y en avoir d’autres dans les années à venir ?

Un autre facteur a été identifié ces dernières années : l'exposition aux particules, prouvée par une étude de Lyon [du centre Léon Bérard, ndlr]. La pollution atmosphérique augmenterait un peu le risque de cancer du sein. Donc tout dépendra de l'action collective, des mesures génériques, mais aussi individuelle.

Et il y a une autre hypothèse plausible, mais pas encore complètement démontrée : l'exposition aux perturbateurs endocriniens. Il faut de longues études, coûteuses, pour un début de démonstration. Mais il faudrait prendre des mesures de précaution dès maintenant.

Quelles sont les inquiétudes pour l'avenir ? 

Le taux d’incidence pourrait-il encore augmenter ces prochaines années ? Quel est le niveau d’inquiétude ? 

C’est difficile à dire puisque les raisons de l'augmentation de l'incidence ne sont pas évidentes. J'espère que l'incidence ne continuera pas à augmenter, mais je n'ai pas vraiment d’argument pour penser que ça puisse se stabiliser.

Ce qui est sûr, c'est qu’en France, à l'heure actuelle, avec les estimations de 2023, une femme sur 10 risque d'être touchée par un cancer du sein.

En France, à l'heure actuelle, une femme sur 10 risque d'être touchée par un cancer du se

Aujourd’hui, il faut donc axer sur deux points. D’abord, il faut essayer de changer son comportement pour un peu modifier son risque, même s’il n’y a pas de risque zéro. La deuxième chose est d'inviter les femmes à participer au dépistage après 50 ans. Le taux de participation est aux alentours de 50% en France, donc cela veut dire qu'il y a quand même une marge de progression dans la tranche des femmes de 50 à 74 ans.

Concernant les femmes de moins de 50 ans, il faut être vigilante, consulter un.e gynécologue. Si on a des antécédents familiaux, il faut demander l'avis de son gynécologue ou de son médecin traitant, pour démarrer éventuellement une surveillance. Certaines femmes redoutent de passer des mammographies ; il faut qu’elles soient informées, qu’elles décident en ayant bien tous les arguments.

Il y a quand même une évolution positive : la mortalité due au cancer du sein diminue en raison des progrès thérapeutiques et parce que la prise en charge individualisée n'a cessé de progresser. Cela va continuer et c’est un espoir important.

L'intelligence artificielle sera possiblement utilisée pour mieux cibler le dépistage. Mais on ne pourra pas se passer des deux aspects que sont la prévention primaire (l'identification, la modification des facteurs de risque quand on peut le faire) et le dépistage plus individualisé".

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